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Ce qui rend heureux, déclare Daniel Cohen, professeur d’économie à l’École Normale Supérieure, est la perspective de croissance, or, poursuit ce docte professeur, nous devons penser aujourd’hui ce que serait un monde sans croissance (Le Monde, 8 décembre 2009). Autrement dit, nous devons trouver une nouvelle manière de vivre heureux sans le mythe du progrès…

Pier Paolo Pasolini disait que les fils doivent toujours expier la faute de leur pères : nos pères sont coupables d’avoir cru au bonheur et au progrès et ils nous ont laissé une terre en danger de mort !

Au bonheur je voudrais opposer la joie et au temps de vivre l’instant de vivre.

Comme Pasolini, c’est parce que je suis révolutionnaire que je ne suis pas progressiste…

 

Cette affirmation passionnée, je me propose de l’étayer en trois mouvements.

Le premier s’appuie sur la théorie néo-darwinienne de Stephen Jay Gould (La vie est belle, 1991, L’éventail du vivant. Le mythe du progrès, 1997) :

« Je voudrais amener mes auditeurs à se pénétrer intimement de la signification de la révolution darwinienne et les convaincre que la réalité naturelle est en vérité composée de populations d’individus variables, autrement dit à comprendre que les variations sont en elles-mêmes irréductibles, "réelles" dans le sens où elles sont les composantes concrètes de cette réalité (…) Dans mon livre La vie est belle, j’affirme l’imprédictibilité et la contingence de chaque événement »

Un deuxième mouvement s’appuie sur la théorie du temps présent de Daniel N. Stern (le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de sable, 2004) qui associe pédiatrie, psychanalyse et neurophysiologie :

« Comprendre quelque chose ne suffit pas pour provoquer le changement (…) Il faut également qu’il y ait une vraie expérience, un événement vécu subjectivement. Il faut vivre un événement qui implique des sensations et des actions se produisant en temps réel ,dans le monde "réel", avec de "vrais" gens dans un moment présent »

Mon troisième mouvement s’appuie sur la critique de la philosophie du progrès par Georg Henrik von Wright (Le mythe du progrès, 1993), philosophe finlandais, successeur de Ludwig Wittgenstein à la chaire de philosophie de Cambridge.

 

Quels types d’auditeurs sont susceptibles d’apprécier mes pensées ? Je ne connais évidemment pas la réponse mais je veux, en restant prudent, désigner trois groupes.

Le premier relève d’une attitude qu’on a l’habitude d’appeler "conservatisme de la valeur". Donc : les êtres humains qui ont un goût prépondérant pour le conservatisme, qui ne tombent pas facilement en extase devant tout ce qui est moderne, qui ressentent de la gratitude et de la vénération pour l’apport des mères, des pères et pour leur mémoire.

L’autre groupe, qui a joué précédemment un rôle éminent dans la vie culturelle, mais apparaît aujourd’hui en déclin, est ordinairement désigné comme "les intellectuels de gauche".

Le troisième, ce sont les écologistes "profonds", c’est-à-dire ceux qui pensent que le temps présent permet d’entrer en communication avec les profondeurs de "l’esprit" et du monde et que changer le monde c’est entrer en lui tout autant que se laisser pénétrer, délicieusement, par lui.

 

Michel Boccara

 

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