Sortir du nucléaire ou arrêter le nucléaire ?

Quelques réflexions en vue d’engager la discussion sur les délais de sortie

(article paru dans Atomes crochus n°3)



Au milieu des ténèbres, je souris à la vie, comme si je connaissais la formule magique qui change le mal et la tristesse en clarté et en bonheur. Alors, je cherche une raison à cette joie, je n’en trouve pas et ne puis m’empêcher de sourire de moi-même. Je crois que la vie elle-même est l’unique secret.

Rosa Luxemburg, Lettres de prison

 


Comment concilier le débat sur l’arrêt du nucléaire, les délais de sortie d’une part, et, de l’autre, le rassemblement souhaité des antinucléaires ?


Ce débat est-il piégé ?

Sans doute, si l’on fait d’une position nationale unique un point de rupture.

D’autant plus si cette position se faisait sur l’une des 2 options suivantes, difficilement conciliables : celle des partisans de l’arrêt immédiat ou celle d’un scénario de type Négawatt avec une sortie à plus de 20 ans...


Réflexions en forme de questions

Peut-on être pour un arrêt immédiat mais penser que ce mot d’ordre est difficile à défendre dans l’opinion publique ?

Peut-on penser que la seule solution réaliste d’un point de vue social ou économique ne peut se faire qu’avec une sortie programmée sur 10 ans, 15 ans... voire plus...?

Et y a-t-il un seuil à partir duquel on n’est plus un antinucléaire ?


Quelques pistes

Contourner le problème ? Une possibilité :

La Charte ne se prononce pas pour un délai de sortie précis… mais chaque groupe adhérent devrait logiquement porter localement la revendication de la fermeture immédiate des installations nucléaires qui le concernent, et dont beaucoup ont dépassé les 30 ans maximum d’autorisation prévus lors de leur construction. Ainsi la somme des entités constituant le Réseau porterait une revendication de fermeture immédiate partout sans porter un mot d’ordre national qui divise.

Il devrait être plus facile de convaincre de la nécessité de fermer immédiatement telle installation, car localement les militants connaissent les points faibles des installations qu’ils côtoient. Ils peuvent argumenter avec bon sens et exemples à la clé.


Le mot d’ordre « Arrêt immédiat » est-il discutable ?

Chacun sait, à commencer par ceux qui défendent ce mot d’ordre, qu’on peut difficilement arrêter nos 19 centrales nucléaires en actionnant un interrupteur. Ceux qui préconisent le mot d’ordre « Arrêt immédiat » programment en général un arrêt de la production en trois ans (Pierre Lucot et Jean-Luc Pasquinet, Nucléaire arrêt immédiat, Golias) ou en cinq ans (Mouvement Utopia, Idées reçues et scénarios de sortie, Utopia).

Pourquoi alors ne pas défendre plutôt le mot d’ordre “arrêt en 3 ans”, plus facilement audible par l’opinion publique ? Il laisse entendre, par sa précision, que le sujet a été réfléchi, alors que “Arrêt immédiat” peut laisser croire qu’il s’agit d’une exigence idéaliste qui ne s’appuie sur rien, même si ce n’est pas le cas. Sur un sujet où science et communication s’accordent pour imposer le point de vue du lobby, il est impératif de réfléchir à l’impact de nos formulations.


Un antinucléaire, en principe convaincu des risques d’accident, de l’accumulation des déchets, etc., ne peut que souhaiter l’arrêt au plus vite de toute industrie nucléaire.  C’est donc surtout un point de vue stratégique qui divise les antinucléaires. (Laissons de côté les arguments techniques qui repoussent l’échéance de sortie autour de 20 ans ou plus… Des scénarios réalistes de sortie urgente ou rapide démontrent qu’il s’agit bien d’un choix politique.)

Chacun a pu tester à quel point il est souvent difficile de convaincre de la nécessité d’un arrêt rapide de l’électronucléaire, compte tenu qu’il représente 75 % de la production d’électricité.

Parler d’arrêt immédiat apparaît alors comme une idée insensée… qui braque souvent l’interlocuteur. Car, comment déconstruire en quelques minutes, sur un coin de trottoir ou dans un débat public, le discours colporté par le lobby et ses “spécialistes”, les médias, les pouvoirs publics depuis tant d’années…?


Être antinucléaire c’est quoi ?

Reprenons le postulat :
Un antinucléaire ne peut que souhaiter l’arrêt au plus vite de toute industrie nucléaire. D’autant que plusieurs scénarios sérieux urgents ou rapides (3, 5, 10 ans) existent. Et chaque nouvelle année passant repousse d’autant ces délais…

En ce sens, défendre une sortie au-delà des 10 ans apparaît plus comme une démarche qui intègre la question du nucléaire dans une problématique plus large sans en faire une priorité. Or, pour un antinucléaire, cette question ne peut qu’être une priorité, la priorité…!

S’il s’agit d’un scénario global pour contrer le réchauffement climatique, où le nucléaire est une valeur d’ajustement parmi d’autres, c’est une démarche d’énergéticien, pas d’antinucléaire !

S’il s’agit d’apparaître soucieux de réalisme afin de ne pas prendre l’opinion publique à rebrousse-poil, c’est une démarche politicienne, pas antinucléaire !


La difficulté réside donc, pour les antinucléaires, dans le refus d’un compromis sur un scénario au long cours, la nécessité d’intégrer la problématique climatique et celle de trouver les termes pour convaincre.

Ainsi, le mot d’ordre « Fermeture des réacteurs de plus de 30 ans » est à la fois de bon sens, facile à défendre, fédérateur et assez radical, puisque, s’il était appliqué, ce sont déjà 33 réacteurs sur 58 qui s’arrêteraient à ce jour !


Et maintenant rêvons…
… au jour où nous aurons modifié le rapport de force en notre faveur.

Enfin, l’arrêt de production d’électricité nucléaire est décidé (le nucléaire militaire n’est pas abordé mais il mérite aussi une réflexion poussée. Se posera alors concrètement la question de la date de fermeture du dernier réacteur.

Quel sera le rôle des antinucléaires ?

Convaincre, bien sûr, pour arrêter au plus vite ! Mais, au-delà, à qui cette décision reviendra t-elle… entre un scénario à 3, 5, 10 ans voire plus…?

Beaucoup de critères entreront en ligne de compte à ce moment là :

Dans quel contexte cette décision aura-t-elle été prise ?

Un accident ? De quel niveau ?

Un changement de régime radical (on est dans le rêve, n’est-ce pas…) ?

On ne peut les imaginer tous...