Deux militantes
japonaises sont intervenues à la représentation de l’Impossible Procès au Café
de la Gare à Paris. Elles s’appellent : Toshiko Tsuji et Yûki Takahata.
Elle vivent en France et sont suivi tous les détails de la catastrophe avec
leurs familles et leurs amis au Japon. Elles témoignent.
Je
veux parler du procès de Fukushima. Après la catastrophe, certains
scientifiques pro nucléaires ont demandé pardon publiquement, mais leur
mea-culpa ne suffit pas. 1324 habitants de Fukushima ont constitué un groupe de
plaignants avec chacun son dossier et ont porté plainte contre 33 personnes
responsables de l'accident, dont les PDG de Tepco, les haut fonctionnaires de
la Sûreté nucléaire et le professeur Yamashita qui a dit que les personnes
souriantes ne sont pas sensibles aux radiations. Le dossier a été accepté par
le Procureur de Fukushima et celui de Tokyo (dans deux tribunaux régionaux) en
août 2012 et ils ont commencé à examiner le dossier. Mais ça ne s’arrête pas là
parce que le groupe a décidé de faire appel à tous les Japonais parce qu’on
considère qu’ils sont tous victimes et que la criminalité de chaque responsable
doit être claire.
Au
total, 14716 japonais ont décidé de s'engager dans ce procès pénal de
Fukushima.
C’est
donc un procès possible et nécessaire.
Tepco
est la compagnie électrique qui a le monopole d’une région, la région de Tôhoku
(nord-est), ce n’est pas comme l’EDF. Cette plainte collective est importante
parce que jusqu’à maintenant, aucun responsable n’a été inquiété. Ce n’est pas
un procès pour des indemnisations, c’est un procès criminel surtout parce qu’il
y a des conséquences sanitaires à venir. Mais c’est comme dans la pièce,
personne ne prend la responsabilité de la catastrophe. Il faut dire clairement
que c’est un crime contre tous les Japonais. Ce sont des criminels et ça nous a
fait plaisir de voir cette pièce parce que c’est comme ça au Japon. Ce procès,
c’est parce la vie des gens a été complètement détruite avec des conséquences
sanitaires qui vont venir, comme dans la pièce. Or, ils se sont aperçus que
personne ne prenait la responsabilité. Il y a des criminels et il faut
déterminer les responsabilités de chaque criminel et les juger. Ça m’a fait
plaisir de regarder cette pièce parce que c’est pas seulement pour ici, c’est
pour tous les survivants et pour la destruction de l’environnement, pas
seulement ce qui apparaît clairement maintenant, mais les conséquences de la
contamination radioactive dure pour des générations et des générations.
Pour
nous qui vivons en France depuis longtemps, ça été un choc terrible. Il y a eu
le tsunami mais comme on a des amis antinucléaires on a été avertis tout de
suite du danger des centrales. On savait que c’était dangereux et que la
centrale pouvait exploser à tout moment et ce que nous avons fait, c’est
d’alerter nos parents et nos amis au Japon et ç a été terrible parce que
personne ne croyait à ce qu'on disait. Les associations antinucléaires étaient
vraiment héroïques parce qu'ils ont essayé d'avertir dès le début. Certains journalistes
indépendants et des scientifiques sont partis tout de suite sur place
parce qu’ils ont vu qu’il n’y avait pas d’information. On a été aidé par un
journaliste qui a déjà enquêté à Tchernobyl et avec le peu d’information qu’on
avait on a tout de suite compris que c’était très dangereux. On a eu sur
internet une conférence de presse avec un ancien ingénieur qui avait travaillé
dans la construction des réacteurs (spécialiste de l'enceinte de confinement).
On a voulu alerter parce qu’au début les gens étaient complètement bouleversés
par les dégâts causés par le tsunami, et comme les grands média et le
gouvernement disaient qu'il n'y a pas de danger, ils ne voulaient pas croire.
Même avec l’explosion, le gouvernement a dit qu’il n’y avait pas de fusion de
cœur. Or il n’y aurait pas eu d’explosion s’il n’y avait pas eu de fusion. On
disait que le cœur n’avait pas fondu, c’était un mensonge, un mensonge
d’Etat. Et c’était terrible d’entendre le secrétaire général du cabinet qui
disait : « il n’y a pas de conséquences
sanitaires immédiates! » C’est monstrueux, s’il y a un procès, il
faut qu’il soit condamné ! Et il a répété ça plusieurs fois ! Quand
on est allé plusieurs mois après vers Tokyo, avec le compteur Geiger, on
constate que le niveau de radioactivité est toujours plus élevé que ce qu’ils
disaient. Maintenant c’est pareil à Fukushima, quand ils installent des
appareils de mesure, ils nettoient d’abord, ils décontaminent avant. Ils
mettent même des machines préalablement conditionnées qui indiquent des mesures
plus basses. Ils font vraiment une manipulation pour que les gens pensent qu’il
n’y a pas tant que ça de danger, pour faire revenir les gens chez eux. On dit
aux gens qu'il n’y pas de danger et ce n’est pas vrai. Ce sont des
menteurs ! Et surtout, il y les enfants qui sont restés dans les zones
dont la radioactivité est beaucoup plus haut que la norme internationale (1
milliSv d'exposition par an) alors qu'ils sont plus sensibles à l'irradiation.
Chez ces enfants de Fukushima (360 000 mineurs), il y a déjà eu 12 cas de
cancers de la thyroïde et certainement 15 ou 16 cas de forte soupçon seulement
deux ans après, et il n’y a pas d’examen systématique autre que celui de
thyroïde, puis les parents ne reçoivent qu'un résultat approximatif, il faut
faire les démarches compliquées pour avoir accès à l'échographie. C'est
l'Université médicale de la préfecture de Fukushima, dirigé par l'équipe
pronucléaire qui a le monopole des résultats d'examens sanitaires. On est pire
que dans le cas de Tchernobyl parce que là-bas, il y a eu des examens plus
systématiques et des informations étaient données. On n'a donc pas de données
épidémiologiques, mais on entend beaucoup de choses : il y a plus de morts
par l’arrêt cardiaque, beaucoup de gens qui ont des problèmes divers de la
santé, moins de naissances et les jeunes filles ou adolescentes disent qu'elles
ont peur d’avoir des enfants.
Certaines
femmes sont parties avec leurs enfants pour vivre dans une région moins
contaminée. Dans la plupart des cas, cela a provoqué des drames familiaux,
parce que les hommes ne peuvent pas partir ou alors ils ne comprennent pas. Il
y a des cas de divorces. Il y a beaucoup de déchirures et elles sont rejetées
par leur communauté d’origine. Les hommes ne pensent pas du tout en termes de
protection de l’enfant. En plus les hommes au Japon travaillent énormément et
il y a beaucoup de femmes au foyer. Les jeunes femmes de Fukushima ont
conscience qu’elles ne pourront pas avoir d’enfants.
Il
n’y pas eu de distribution de pastilles d’iode au début (ou dans les communes
qui ont en distribué, les gens n'ont pas pris parce qu'il n'y a pas eu de
consigne, sauf une seule commune qui a pris l'initiative de donner la
consigne), ensuite on n’a pas pratiqué d’examens. L’iode disparaît très vite
(demi-vie est de 8 jours). Donc on ne peut plus savoir à quel degré les
habitants ont été contaminés par l'iode.
La
question qui se pose aussi, c'est comment les Japonais qui avaient connu les
bombes de Hiroshima et de Nagasaki, ont pu avoir autant de centrales
nucléaires. C’est l’histoire de l’Atome For Peace (l'atome pour la paix:
utilisation "pacifique" (civile) du nucléaire), la volonté américaine
de vendre le nucléaire civil au Japon qui a retourné l'opinion publique très
hostile à l'atome. Après Hiroshima, il fallait porter le combat contre le
nucléaire. Or, certains hommes politiques n’ont pas accepté la défaite et ils
se sont seulement dits que leur technique nucléaire n’était pas assez
avancée par rapport à l'Occident. Et c’est vraiment ce désir de puissance qui
anime ces hommes politiques, ces scientifiques, ces hauts fonctionnaires qui
pour moi sont responsables de l'introduction et de la promotion du nucléaire.
Pour moi, c’est aussi une logique de mâle. Pendant la guerre, c’est vrai qu’il
n'y a pas eu de camps de concentration mais l'armée japonaise a quand même été
une armée particulièrement inhumaine qui a fait beaucoup de victimes et il y a
eu aussi les expériences avec les unités 731 et ces femmes qui ont été des
esclaves sexuelles. Quand à la fin de la guerre le Japon savait qu’il allait
perdre, l’armée a quitté la Chine, les officiers sont partis en abandonnant
toute une population qui était installée avec beaucoup de femmes et d’enfants.
C’est un pays qui n’a jamais respecté la vie de la population. Et je me suis
dit, à Fukushima, ça recommence et c’est parce qu’on n’a jamais vraiment fait
le travail après la guerre. On a une sorte de Gandhi au Japon, il s'appelle
Monsieur Hiroaki Koidé, il est physicien nucléaire, mais il lutte contre le
nucléaire depuis 40 ans. Le 11 mars il a envoyé des mails pour alerter la
population du danger d'explosion. Dans sa dénonciation du nucléaire, il met
l’accent sur son caractère discriminatoire. C’est une industrie qui ne peut
fonctionner que sur le sacrifice des faibles, des peuples de pays pauvres ou
des minorités pour extraire de l'uranium, les centrales sont construites dans
des régions pauvres et puis aujourd’hui des travailleurs nucléaires (qui au
début étaient des élites) ce sont surtout des sous-traitants qui doivent faire
la maintenance, c'est-à-dire ils sont fortement irradiés. C’est une industrie
qui ne peut fonctionner qu'avec des gens qu’on irradie. Ceux qui promeut le
nucléaire, c'est des élites, des hommes puissants qui ne voient jamais les gens
ordinaires. Ces gens là, ils ont des femmes de ménage, ils n’ont jamais eu à
s’occuper ni de leurs vieux, ni de leurs gosses. Pour eux, les déchets, les
gens qui tombent malades à cause de leur travail, c'est pas leur problème. Ils
ne peuvent pas comprendre. Il faut une lecture plus féministe du nucléaire. La
logique mâle prédatrice conduit à la catastrophe (nucléaire, économique et
écologique) parce qu'elle ne respecte pas la vie.
Question :
est ce qu’il y a eu d’autres procès, des manifestations dans les entreprises ?
Il
faut parler du côté positif, il y a des manifestations tous les vendredis
devant la résidence du premier ministre. Le premier ministre a changé entre
temps mais c’est encore pire. Les militants ont aussi installé une tente devant
le ministère de l’économie et de l'industrie depuis le 11 septembre 2011, six
mois après l'accident. Je vais parler d’un autre procès, c’est l’Etat contre
les occupants de la tente en demandant d’évacuer le lieu avec des dommages et
intérêts de 84 000 euros ! La première audience, c’était le 24 mai
dernier et les militants ont commencé une grève de la faim devant la tente,
même à Paris nos camardes ont fait grève 24 heures symboliquement. Mais j’ai lu
dans le journal qu’ils parlent de faire redémarrer le troisième réacteur au
mois de juillet. Et avec le gouvernement actuel, c’est tout à fait possible.
Je
pense que s'il y a plus de forces antinucléaires en France, ça va influencer le
Japon et que c’est important d’envoyer le vent antinucléaire au Japon.
C’est
vrai que les Japonais avaient perdu l’habitude de manifester depuis 30 ans,
donc ça a vraiment changé après l’accident. C’est un moment citoyen
exceptionnel.
Le
problème qui va durer, ce sont les conséquences sanitaires de la catastrophe et
l’effet des faibles doses dans les années à venir et sur la génération d’après.
Il y a des médecins américain et japonais qui avaient travaillé sur la
question. Aujourd’hui il y a des centres de mesures de radioactivité
indépendants au Japon parce qu’on ne peut pas faire confiance au gouvernement.
Il y a des médecins allemands qui aident les médecins japonais à établir des
statistiques. On a démontré qu’après Tchernobyl, il y a eu moins de naissances,
c’est pareil à Fukushima. Il faut divulguer ces informations parce qu’elles sont
un peu confidentielles.
Je
voudrais rappeler la célèbre phrase de Rabelais : la science sans conscience
n’est que ruine de l’âme.
Toshiko Tsuji et Yûki Takahata