Enjeux et termes du débat. (diapo 1)
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Remerciements. Les hommes font l'Histoire. Instruire le procès est possible.
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Le déni de la plupart des effets sur la santé des rayonnements ionisants est le défi majeur que nous lancent depuis plus de 50 ans les promoteurs du développement de l'énergie atomique, militaire et civile, et les organisations s'occupant de radioprotection.
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Ce déni concerne les faibles doses, surtout internes.
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Les enjeux pour nous : informer le plus grand nombre, convaincre les indécis cultivés critiques — les agnostiques —, et déstabiliser les croyants.
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Un dossier très actuel : montrer que le déni de Tchernobyl sert de modèle à la préparation en cours depuis mars 2011 du déni de Fukushima.
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Lorsque nous faisons valoir nos connaissances, avec à l'appui les publications qui établissent les séquelles des accidents, on nous objecte les rapports des institutions internationales et le bilan qu'elles tirent de Tchernobyl. C'est donc sur ce point qu'il faut livrer bataille puisque c'est là que le débat achoppe.
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Ces institutions sont « incontestables » aux yeux de l'opinion et des décideurs politiques, et le restent pour l'essentiel quand elles sont présentées comme contraintes par des forces supérieures, telle l'OMS par l'AIEA.
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Mon propos est double : montrer que la distillation des données scientifiques par le système international de radioprotection opérant dans le cadre de l'ONU est la source du déni ; décrire la genèse de ce système, l'idéologie et les appartenances croisées qui assurent sa cohésion par un contrôle interne de type sectaire, et donner quelques indications sur l'évolution des critères de cooptation/désignation de ses dirigeants.
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Je terminerai mon exposé par l'analyse du rôle de caution du déni que joue l'OMS auprès des décideurs et de l'opinion ; elle l'a joué à Tchernobyl et elle fait de même à Fukushima.
INTRODUCTION
Le déni peut conduire à des prises de position complètement schizophrènes qui le dénoncent pour tel en quelque sorte. (diapo 2). Que de telles affirmations n'aient suscité aucune critique circonstanciée dans les média révèlent deux choses très importantes (les élites françaises donnent ici une image d'ignorance et de bêtise aussi singulière que la part de l'atome dans la production d'électricité d'EDF) :
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le risque nucléaire est faible : pas vraiment la peine de chercher à comprendre.
Faisons confiance à ceux qui savent.
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ce qui compte c'est qu'on continue à produire de l'électricité pas chère.
Mais la contradiction peut rester très implicite par un effet de cloisonnement. La vue suivante (diapo 3) résume deux articles tout récents présentant des études épidémiologiques de grande ampleur menées en Grande-Bretagne entre 1980 et 2006. On sait que la Grande-Bretagne a été pionnière dans tout ce qui est science empirique et que son système de surveillance épidémiologique est l'un des tout meilleurs du monde.
Les données, malheureusement très grossières, collectées auprès de la cohorte des survivants d'Hiroshima et Nagasaki avaient montré que les faibles doses provoquaient proportionnellement plus de cancers que les fortes doses. Une explication avait été apporté au début des années 70 par les expériences de Petkau.
Ces deux publications confirment une autre propriété de l'action des rayonnements : pour la même dose, l'effet est supérieur si elle est délivrée à plus faible débit, voire à très faible débit. Comme si cela « usait » plus le système de réparation des erreurs survenant lors de la division cellulaire.
Vous savez tous ce que le rapport du Chernobyl Forum affirme quant à l'effet des faibles doses reçues par les populations touchées par l'accident et ses retombées : nul. Mais il me faut vous le rappeler et en faire ressortir le caractère non scientifique. (diapos 4, 5 et 6). Cela peut sauter aux yeux tout comme cela peut passer inaperçu et laisser une impression convaincante, d'autant plus convaincante que l'OMS apparaît comme responsable de cette partie « conséquences sur la santé » ce qui assure à cette dernière, et au rapport entier par contagion, un accueil a priori favorable.
En fait l'OMS n'a rien fait d'autre que publier la partie « santé » du rapport des experts choisis par les composantes du lobby (il faudrait pister leurs affiliations car nombreux sont ceux qui sont membres de la CIPR et/ou de l'UNSCEAR sans que cela soit signalé). Sur 55 experts et administratifs constituant le groupe chargé de la rédaction de cette partie « santé », sept seulement émargent à l'OMS, dont les trois secrétaires du groupe, mais aussi le fameux Dr Shunichi Yamashita, détaché par son université en 2002. Les trois derniers sont des cancérologues français actifs dans d'autres groupes de travail de l'institution. L'OMS est une auberge espagnole, j'y reviendrai.
J'ai tenu à vous montrer un exemple du genre de documents « scientifiques » présentés dans le rapport complet avec l'exemple suivant (diapo 7). Aucune référence n'est fournie à l'appui. Il est donc impossible de prendre connaissance de ses tenants. Bref, ne reste qu'à souligner ce en quoi il est non scientifique et probablement biaisé à dessein. L'objectif visé s'en déduit.
A ce stade on ne peut qu'éprouver l'impression que quelque chose cloche, notamment que les notions de science, de pratique scientifique, sont singulièrement malmenée dans cette affaire.
Commençons par clarifier les idées sur l'expertise. (diapo 8)
A titre d'exemple, en 67 ans d'existence le CEA, le mieux doté des établissements de recherche européen, ne peut s'enorgueillir d'aucun Prix Nobel… Avec un budget 2 fois inférieur, le M.I.T. aligne 12 Prix Nobel de Chimie et 27 de Physique (un seul acquis avant la création du CEA en 1945). L'Université d'Harvard, très pluridisciplinaire, avec un budget plus réduit encore, compte 17 Prix Nobel en Physique et en Chimie. Enfin, pour conclure en faisant court, le CEA n'apparaît pas dans le classement des cinquante premiers établissements de recherche pour le nombre de publications dans les revues à comité de lecture. Pourtant, le CEA fait la loi dans les choix d'affectation des fonds publics à la recherche et accapare de plus en plus de secteurs, de l'électronique de pointe aux biotechnologies en phagocytant au passage les énergies renouvelables. Mis à part celui du CEA, l'avenir est tout sauf assuré !
ÉTAT ACTUEL DU COMPLEXE DE RADIOPROTECTION ONUSIEN.
Regardons maintenant comment le système de radioprotection, et de “régulation” de cette dernière, est conçu (diapo 9). Par régulation j'entends la manière dont le contrôle sur les flux d'information est exercé. Une seule différence entre les deux schémas, différence sans conséquence sur le fonctionnement de l'ensemble car celui-ci est très éloigné de cette belle logique apparente d'une indépendance effective des acteurs à chaque étape du traitement de l'information.
A ce stade une information essentielle à retenir : le rôle primordial de l'UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiations). Fondé en 1955, il a pour mission de retenir les articles publiés dans les revue à comité de lecture qui lui semble pertinents et les transmet à la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique). Tout ce qui infirme les prévisions théoriques est écarté.
(diapo 10) Cette vue montre les relations et affiliations des membres de la Main Commission de la CIPR qui a rédigé et publié en 2007 l'ICRP 103, ses nouvelles recommandations générales. L'intrication est totale, entre organismes du schéma d'une part, et d'autre part avec l'industrie atomique et les instituts et agences de recherche. On repère de longues carrières assurées par ces cumuls de mandat et cette culture du conflit d'intérêts dans lequel les un(e)s et les autres se vautrent sans vergogne.
Personne ne s'étonnera que l'UNSCEAR ne respecte pas les règles d'une assemblée scientifique : les avis de la minorité sont exclus de ses rapports. Dans le même ordre d'idée s'y côtoient des scientifiques en général envoyés par les agences atomiques nationales, des bureaucrates ayant (eu) partie liée avec l'industrie atomique et/ou des organisations de radioprotection nationales et/ou internationales. Deux noms, cités sur le graphique, en guise d'exemples parmi tant d'autres de la même eau :
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Abel J. Gonzàlez
1) :
CIPR, membre depuis 1976 et vice-président depuis 2009 ; directeur de l'Agence Argentine de Régulation Nucléaire ;
AIEA, directeur Division Radiation, Transports et Déchets depuis 1985 ;
UNSCEAR, délégué de l'Argentine depuis 1968, y représente l'
AIEA de 1985 à 2005, Représentant en titre de l'Argentine depuis 2006 ;
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Annie Sugier
2), membre de la Main Commission de la
CIPR, débute comme assistante du Directeur des méthodes du
CEA dans les années 70, passe d'un organisme à l'autre du lobby atomique français, termine sa carrière comme conseillère de la direction de l'IRSN et responsable d'un poste de communication avec le public ; a représenté la
CIPR à l'
UNSCEAR ; aucune publication scientifique à son actif selon Google Scholar.
Annie Sugier, par ailleurs Présidente du Conseil scientifique du CEPN (Centre d'Étude sur l'Évaluation de la Protection dans le Domaine Nucléaire), une association comprenant 4 membres — CEA, EDF, AREVA et IRSN — cède en 2009 son poste de Présidente du Comité 4 de la CIPR à Jacques Lochard… directeur du CEPN. Ben voyons ! on se connaît… Jacques Lochard a une formation d'économiste (2ème cycle à l'Université de Besançon et 3ème cycle à Panthéon Sorbonne). Après trois ans dans l'enseignement, il est entré au CEPN en 1977 comme chercheur associé, un an après la fondation du Centre. Il en est le directeur depuis 1989.
Le Comité 4 est chargé de l'application des recommandations. Celles-ci sont basées sur la doctrine ALARA et le Principe d'Optimisation, deux concepts économiques, exemple parfait de droit mou. Un économiste brillant (?) a donc succédé à une bureaucrate en fin de carrière.
Signe des temps, celui de la gestion comptable des désastres radiologiques.
En ce point, je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager le, à tous égards, admirable militantisme atomique de la dernière recrue cooptée par la Main Commission de la CIPR pour contribuer à la rédaction de la Publication 103, Pr Natalya Shandala, Directrice de l'Agence Fédérale de Biologie et de Médecine de Russie (diapo 11). Outre l'amélioration très sensible que sa personne apporte à la traditionnelle photo de groupe de la Commission, on peut légitimement poser la question de la raison particulière qui a emporté la décision de sa cooptation.
Veuillez m'excuser d'avoir cédé à cette facilité.
On ne s'étonnera pas que les études scientifiques retenues par l'UNSCEAR ne comportent aucun article publié dans des revues à comité de lecture et susceptible de nuire (ils ne manquent pas) au développement des activités atomiques. Ainsi il a fallu attendre 1998 pour que l'explosion des cas de cancers de la thyroïde suite à Tchernobyl fût reconnue par le Comité. Depuis, ce cancer sert stratégiquement d'arbre pour cacher la forêt des autres séquelles des retombées (il occupe plus du tiers du rapport du Chernobyl Forum). Cela se vérifie jusqu'à la caricature quand on examine les références citées par la CIPR dans ses dernières recommandations.
La CIPR est une association caritative indépendante, ce qui signifie que ses membres sont cooptés, garantie de continuité idéologique. Elle fonctionne donc comme un club où règne par construction un consensus de bon aloi.
On vient de voir qu'elle reçoit les publications sélectionnées par l'UNSCEAR et en tire des recommandations. On se persuade de l'efficacité du filtrage opéré par ces deux acteurs prééminents du dispositif en regardant comment Tchernobyl est pris en compte dans les dernières recommandations générales, Publication ICRP 103 (2007). Le mot Tchernobyl n'est cité que trois fois et uniquement en relation avec la question du cancer de la thyroïde. L'examen des références n'infirme pas l'impression qu'une certaine partialité a présidé à la rédaction du document : le nombre de références est faible, 292, dont 127 rapports internes de la CIPR et d'organismes internationaux (AIEA, OMS, IRPA, OCDE, AEN etc). 116 auteurs se partagent le reste (dont plusieurs dizaines affiliés aux-dits organismes). Une certaine endogamie prévaut à l'évidence. On ne trouve, enfin, aucune trace des quelques auteurs suivants — qui comme des dizaines d'autres auraient mérité d'être cités — dont les apports à la connaissance des conséquences de Tchernobyl sont historiquement déterminants :
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Pr. Y. Bandazhevsky, Recteur de l’Institut de médecine de Gomel ;
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Pr. R. Goncharova, Chef du Laboratoire de sûreté génétique, Académie des Sciences du Belarus ;
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Pr. G. Lazjuk, Directeur de l’Institut biélorusse des maladies héréditaires ;
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Dr. A. Okeanov, Directeur de l'Institut de recherche en médecine des rayonnements et endocrinologie ; responsable du Registre des cancers de la République du Belarus.
autant de démentis à cette phrase tirée de sa Constitution : “La Commission prend également en compte les avancées rapportées par les organisations nationales.”
En aval de la CIPR, les instances de discussion retiennent ce qui leur paraît pertinent de ses recommandations dans l'exercice de leurs responsabilités en matière de radioprotection. En découlent les standards internationaux élaborés par l'AIEA, l'OMS, la FAO, l'AEN etc, et les standards régionaux, comme ceux d'EURATOM. Enfin, en dernier lieu, nourries par ce processus, les législations nationales. La “vérité” dont elles se réclament est bien hors de portée de toute contestation scientifique !
Cet état de choses ne semble offusquer, ni les organisateurs de cette mascarade, bien sûr, ni les responsables politiques qui se défaussent ainsi de toute responsabilité, ni les media à qui cela demanderait trop de travail, ni même les gardiennes de la qualité de la science, les académies nationales. Comment caractériser une opinion commune qui se satisfait que plus aucune critique, aucun doute ne trouve de chemin pour s'exprimer dans un domaine d'intérêt général ? Sinon qu'il s'agit d'un phénomène religieux, une religion qui règne en maîtresse des esprits, de la communication autorisée et qui conditionne l'accès aux hautes responsabilités. Une religion avec un système de censure analogue à celui de l'Imprimatur et de la mise à l'Index, rôle dévolu à l'UNSCEAR (c'était la Sainte-Inquisition qui était chargée des mises à l'index). Tout ce qui n'est pas agréé peut relever de l'hérésie. Dans ce schéma la CIPR joue le rôle de la Congrégation pour l'éducation catholique et l'AIEA celui de la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, ce qui se dit beaucoup plus explicitement en latin : Propaganda Fide (Propagation de la Foi).
Les termes de la Convention d'Assistance, préparée en catastrophe par l'AIEA après Tchernobyl et votée en urgence en septembre 1986 par l'Assemblée Générale de l'ONU, prennent alors tout leur sens : où et quand la foi en les bienfaits de l'énergie atomique et en l'innocuité des radiations est menacée, il incombe à l'AIEA d'investir le terrain et de tout mettre en œuvre pour la préserver et, si nécessaire la restaurer. Le mot “santé”, en exergue dans la devise de l'organisation, est absent de ce texte. Y faire référence aurait pu créer ou entretenir le doute dans l'esprit des ouailles. Il n'y est question que de gestion technique et administrative de la crise.
Comme le disait en substance le sociologue Paul Jobin lors d'un séminaire universitaire à Paris au printemps dernier : “En France, depuis les années 50 la religion atomique a pris le pas sur la religion catholique”.
Mais il ne s'agit pas d'un phénomène uniquement français. Et il trouve son origine bien avant les années 50, dès après les sensationnelles découvertes de la fin du XIXe Siècle : les rayons X, la radioactivité naturelle et les radioéléments polonium et radium avec l'invraisemblable énergie produite par leurs désintégrations.
S'il me reste un peu de temps, après l'avoir située dans l'Histoire, je vais focaliser mon propos sur la période absolument cruciale située entre le discours Atoms for Peace que le Pt Dwight Eisenhower a prononcé le 8 décembre 1953 devant l'Assemblée Générale de l'ONU à New-York et l'apparition de l'OMS dans le décor en 1957 et 1958.
LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS ATOMIQUES
ET DE RADIOPROTECTION
LE CONTEXTE DE L'ÉPOQUE ET LES FAITS MAJEURS (diapo 12)
Les médecins et physiciens qui avaient piloté les travaux du Manhattan Project dirigeaient les institutions mises en place aux USA pour prendre la suite de ce dernier, dans le cadre très général de l'US Atomic Energy Commission (AEC). Sur tous les plans, intérieur et international, ils tenaient le haut du pavé.
Après une période d'indécision les radiobiologistes et médecins qui avaient été envoyés à Hiroshima et Nagasaki en septembre 1945 et étaient retournés aux USA début 1946, convainquirent le Pr Truman de créer une structure de recherche à implanter à Hiroshima pour une durée indéterminée : l'Atomic Bomb Casualties Commission, instituée fin Novembre 1946. Ses dirigeants furent appelés plus tard à représenter les Etats-Unis dans les instances internationales UNSCEAR, CIPR, AIEA, et à participer aux publications stratégiques à l'appui du programme Atoms for Peace de promotion du développement de l'industrie atomique pacifique, mais aussi militaire, lors de la controverse sur les effets sanitaires et génétiques des retombées des essais.
Le milieu des années 50 constitue donc une phase décisive dans l'histoire de l'énergie atomique. Tout s'est structuré et noué entre 1953 et 1959.
On commençait à publier des données sur les séquelles humaines des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki. Le besoin de rédemption de l'atome militaire par l'atome pacifique dominait tout. L'espoir de faire fructifier indéfiniment la puissance des réactions atomiques aussi, comme son corollaire.
Le Président Eisenhower avait décidé de fonder la suprématie américaine sur le développement de l'énergie atomique, tant militaire que civile. Un an après avoir été élu pour son premier mandat il avait prononcé devant l'Assemblée Générale de l'ONU un discours qui entra dans l'Histoire sous le nom de Atome for Peace. Il y demandait que fût rapidement créée une agence de l'ONU (qui prendra le nom de AIEA) chargée de veiller au développement de l'énergie atomique à des fins pacifiques dans le but de “hâter et accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier”. Une phrase reprise pour devise par l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique.
Le Président partageait avec beaucoup de ses semblables ce travers qu'Alexis de Tocqueville avait observé et rapporté en ces termes dans une note de travail du manuscrit du Tome II de De la Démocratie en Amérique :
”Les hommes jugent d'ordinaire les idées d'autant plus parfaites, plus efficaces et plus belles, en proportion qu'elles sont plus simples, et qu'elles peuvent d'autant plus aisément se réduire à un seul fait. Ce jugement naît en partie de notre faiblesse. Les complications fatiguent l'esprit humain et il se repose volontiers avec une sorte d'orgueil dans l'idée d'une seule cause produisant à elle seule une infinité de grands effets.” |
Une observation que chacun de nous peut parfois prendre à son compte.
Un an avant la création de l'AIEA, à l'instigation de Eisenhower, l'ONU se dota de l'UNSCEAR. Son modèle est le NRC américain (National Research Council), une instance chargée filtrer les publications scientifiques et de remettre des rapports d'orientation scientifique et technologique au Gouvernement des Etats-Unis. Les Américains entendaient imposer la forme et le mode de fonctionnement des organismes atomiques internationaux, de manière à favoriser la stratégie qu'ils avaient choisie.
Cependant, l'effet enthousiasmant du discours du Président US fut sérieusement gâché moins de trois mois plus tard, le 1er mars 1954, par l'affaire du Lucky Dragon, le Daigo Fukuryu Maru selon le nom japonais du chalutier dont les 23 marins furent sévèrement contaminés1 par les retombées du tir Bravo, le premier de la série Castle des plus récentes bombes à hydrogène effectuée à Bikini. Le 21 mars, une semaine après le retour du bateau à son port d'attache de Yazu, l'AEC dépêcha son chef du Laboratoire de Sûreté et de la Santé, Merril Eisenbud2, un homme sans pedigree scientifique de haut niveau. Son attitude désinvolte révolta la presse et l'opinion japonaise. Un vaste mouvement de réprobation se répandit dans le monde entier, qui dura de nombreux mois. Très remué, le Président, un esprit religieux mais mal informé qui croyait à l'innocuité des retombées des explosions atomiques (tout comme Robert Oppenheimer), pria Winston Churchill de sonder le Kremlin sur la possibilité d'envisager des négociations en vue d'interdire les essais atmosphériques.
Fort heureusement la science particulière des radiations vint à la rescousse. Un premier rapport officiel US de mai 1955 affirma qu'il faudrait que les niveaux de contamination radioactive des sols par les essais atomiques devinssent des milliers de fois plus élevés avant que l'on notât le moindre effet sur les êtres humains. Fin 1955, une étude de l'AEC établit que le “seul” décès du Lucky Dragon était à mettre au compte d'une hépatite… et que les thons pêchés par le navire étaient sains sans limite de consommation. L'année suivante, celle de la création de l'UNSCEAR, l'Académie des Sciences US affirma que les essais atomiques ne présentaient aucun risque significatif pour l'espèce humaine. La voie de l'Atome était dégagée… Durant les deux mandats d'Eisenhower entre fin 1952 et fin 1960, l'industrie atomique US produisit 50 bombes atomiques et à hydrogène par semaine, ce qui permit d'augmenter chaque jour ouvrable la puissance de feu de l'arsenal américain de 10 Mtonnes (environ mille fois l'énergie produite par la bombe d'Hiroshima).
Atoms for Peace : durant cette période aucun réacteur de production d'électricité ne fut construit, ni même mis en chantier, hormis la réalisation alibi de Shippingport, où un réacteur de sous-marin fut installé et adapté à une production symbolique d'électricité (60 MW), qui ne pouvait préfigurer aucune série civile avec son combustible à uranium enrichi de qualité militaire (à 93% d'U235), et le cargo atomique Savannah, lancé en 1959, mis en service en 1962 et et désarmé en 1971…
Pour préserver sa mémoire, Eisenhower alerta son successeur sur la puissance inouïe acquise par le complexe militaroindustriel dans des termes qui le dédouanaient de toute responsabilité ; comme s'il avait été privé de tout libre-arbitre par les puissances industrielles et financières qui profitaient des programmes décidés par le gouvernement.
LES GÉNÉTICIENS SE REBIFFENT ET PERDENT LA PARTIE. (diapo 13)
En 1950 avait été créé, dans la mouvance de l'AEC, le Committee on Genetics Effects of Atomic Energy on Human Population. Il comprenait des biologistes, comme le Dr Shields Warren de l'ABCC et Paul B. Pearson, le Directeur de la Biology Branch, des généticiens comme Georges Beadle, James Neel, “Monsieur Génétique” de l'ABCC, William Russel qui irradiait divers animaux à Oak Ridge, le grand centre scientifique et industriel de l'AEC, ou encore Max Zelle qui venait de falsifier le chapitre Genetics du livre The Effects of Atomic Weapons afin de protéger les intérêts de l'AEC et allait l'année suivante tenter d'empêcher la publication du livre Our Atomic Heritage où l'auteur extrapolait aux humains les mutations observées chez les souris. Retenons ces noms. Le débat sur les retombées restait la chasse gardée d'un petit nombre de scientifiques.
En fait, mis à part Beadle, les autres généticiens du groupe n'étaient pas d'un calibre considérable. A cette époque, les radiobiologistes et les médecins impliqués dans l'ABCC, issus du Manhattan Project, et/ou financés par l'AEC, considéraient qu'ils avaient assez de connaissances sur les effets des radiations pour traiter de génétique et fixer les limites. Ils partageaient une forte tendance à minimiser les risques et pensaient que l'absence de malformations en surnombre décelable parmi les naissances dans les populations irradiées de Hiroshima et Nagasaki leur donnait raison. Mais la plupart des généticiens, dépendant ou non de l'AEC pour le financement de leurs travaux, suivaient plutôt leur doyen, le Prix Nobel 1928 pour sa découverte de l'effet mutagène des rayonnements, Hermann J. Muller, qui ne cachait pas ses craintes.
Après l'affaire du Lucky Dragon, un disciple de Muller, Alfred H. Sturtevant chercheur à l'Institut CalTech, bien que dépendant de l'argent de l'AEC, avait préparé un article pour Science dans lequel il exprimait ses craintes que les retombées des essais n'altérassent le patrimoine génétique et rappelait que tous les généticiens compétents partageaient cette vue. Il l'adressa au Directeur de l'AEC, Lewis Strauss, qui confia illico au Dr John Bugher, alors directeur de la division biologie et médecine de l'AEC, le soin de le sermonner. Strauss était un fervent adepte de l'innocuité des retombées. La réponse très dissuasive se concluait ainsi : “ces assertions sont absurdes et indéfendables scientifiquement (…) car, fondamentalement, notre problème d'ajuster l'homme à un monde dans lequel l'énergie nucléaire est largement utilisée est suffisamment sérieux pour qu'on se dispense d'exagérer la portée de petites probabilités évanescentes”.
Muller considérait que son patrimoine génétique était le bien le plus précieux de l'Humanité et voulait appuyer Sturtevant en intervenant dans le sous-comité chargé des doses externes du NRCP (National Committee on radiation Protection) dirigé depuis le début par le Pr Gioacchino Failla. Ce dernier, un généticien, était alors depuis 1950 Président de la CIPR (il le restera jusqu'en 1959). Il était devenu célèbre en 1922 avec un papier montrant que des souris irradiées à “faible dose” grandissaient mieux et vivaient plus longtemps. Il soutenait alors la théorie de l'hormesis, dérivée du principe du médecin-alchimiste mystique Paracelse (1493-1541) selon qui “la dose fait le poison”. Dix huit ans plus tard, en 1940, il avait retourné l'opinion générale contre la possibilité d'effets génétiques des radiations dans un rapport du NRCP, et venait de rappeler ce principe après l'affaire du Lucky Dragon. Gino Failla était aussi l'auteur du livre “Is Radiation all Bad ? The Search for Adaptation”. La tentative de Muller échoua. James Neel se prononça également contre Sturtevant.
L'attaque la plus blessante vint du Dr Austin M. Brues, Director of Biological and Medical Research, Argonne National Laboratory, qui dépendait de l'AEC. Il publia dans le Journal of Cancer Research un papier intitulé “The New Emotionalism in Research”, où il présentait les généticiens comme des êtres guidés par les émotions, ce qui faussait leurs recherches, et où il mettait en garde les cancérologues contre toute dérive de ce genre. Ne s'en tenant pas là, il écrivait qu'il pensait qu'un bon scientifique ne devait pas discuter de science incertaine en dehors de la communauté scientifique. Sur cette question de l'effet des radiations chez l'homme il avait aussi écrit : “Many victims were victims because they needed to be”. Brues avait bien changé, lui qui dix ans auparavant avait été l'un des 69 signataires de la lettre de Leo Szilard, demandant au Président Harry Truman de ne pas utiliser la bombe atomique contre le Japon…
Le moment était venu de désigner les hommes qui allaient constituer la première délégation américaine à l'UNSCEAR, qui venait d'être créé. C'était donc l'heure de la distribution des prix. La liste comprend 13 personnes, dont 7 généticiens. Les généticiens auraient-ils gagné ?
Le chef était le Dr Shields Warren dont on peut dire aussi maintenant qu'il avait été mêlé à l'exposition de troupes lors de l'exercice Desert Rock IV de mai 1952, avec une bombe largué par avion. Son principal souci avait été l'éventuelle réaction de l'opinion si quelque chose était venu à foirer. A ses côté Austin Brues, dont nous venons de parler.
Parmi les généticiens on retrouvent les opposants à Muller et Sturtevant — Gioacchino Failla, Max Zelle, que nous connaisson déjà —, Theodosus Dobzhansky, l'eugéniste, théoricien de l'évolution équilibrée avec des mutations qui se compensent grâce au réservoir de gènes inutilisés, Sterling Emerson de l'ABCC et James Neel qui en fut le premier Directeur fin 1946 et s'occupa de chercher des malformations chez les enfants nés après le bombardement de parents irradiés, mais aussi deux éventuels contradicteurs minoritaires en les personnes de John F. Crow, contre la bombe et l'exposition aux bas niveaux de radiations, et Georges Wells Beadle, futur prix Nobel 1958. Par ailleurs on trouve Merril Eisenbud, l'envoyé spécial de l'AEC pour l'affaire du Lucky Dragon, qui fut aussi de l'Operation Sunshine de tests sur les humains en liaison avec la Grande-Bretagne et l'Australie, John Laughlin, radiologue passé par l'ABCC, le cancérologue John H. Harley qui avait fait des mesures de doses à Nagasaki, le directeur de la division biologie et médecine de l'AEC Charles L. Dunham qui était mêlé à tous les essais dans le Nevada et au programme d'expérimentations humaines en cours, et tenait à minimiser en public que les retombées étaient dangereuses. Dunham dirigera ensuite le RERF, Radiation Effects Reserch Foundation, l'organisme nippo-américain qui succéda à l'ABCC en 1975.
On a ainsi une petite idée du patrimoine génétique de l'UNSCEAR sur lequel la délégation US exerçait un leadership incontesté.
Mais la bataille n'est pas tout-à-fait terminée.
L'OMS COMME CHAMP D'AFFRONTEMENT ET DE LÉGITIMATION
(diapo 14) L'OMS était restée complètement absente des travaux sur les effets des radiations chez l'homme. Elle n'avait publié aucun rapport, ni nommé aucun Comité ad hoc.
Muller cherchait un moyen de faire valoir les craintes des généticiens. Il prit l'initiative de constituer un groupe international (pour sortir du champ clos où les anciens du Manhattan Project régnaient sans partage) en vue de publier un rapport scientifique présentant leurs points de vues. Vingt généticiens des plus en vue et trois observateurs de onze nationalités différentes participèrent à la préparation du rapport. L'OMS fournit trois personnes pour assurer le Secrétariat, dont un seul au fait des questions de radiations. Pour accroître la portée de l'entreprise il fut convenu que deux délégués US à l'UNSCEAR seraient du groupe, James Neel et Sterling Emerson, ce qui composait un sous groupe assez équilibré.
Le destin de ce premier rapport scientifique publié par l'OMS reste singulier. Tout d'abord il n'est pas numéroté comme l'ensemble des autres rapports commandés par l'Organisation. Il n'apparait donc pas dans la liste des références. Il semble que seule la version électronique anglaise soit archivée dans sa base de données. Des rapports de beaucoup plus courte portée jouissent d'une plus grande visibilité. Par ailleurs aucun des souhaits émis par les généticiens de lancer sous l'égide de l'OMS des travaux de recherche sur les effets génétiques des radiations atomiques n'a été satisfait. Un seul rapport sur l'effet génétique des radiations naturelles sera commandé et publié.
La suite de l'histoire a toutes les allures d'un coup de grâce en deux temps.
En premier lieu l'UNSCEAR réagit de façon assez naturelle dans son premier rapport, publié en 1958. Dans l'annexe H de ce rapport, elle traite la question des effets génétiques des radiations sous la forme convenue d'un rapport anonyme d'experts. Ce qui fait apparaître comme vérité scientifique tombée du ciel onusien un document contredisant assez largement les préventions manifestées par les auteurs du rapport publié un an avant par l'OMS.
J'ai gardé le plus révélateur pour clore cette partie de mon exposé : une contre-attaque assez perfide menée notamment par le Docteur Austin Brues, celui qui avait mis en doute la solidité mentale des généticiens partageant l'avis de Muller et Sturtevant. Bien entendu il aurait été contreproductif de cibler explicitement les généticiens. Le document traite donc en général des problèmes de santé mentale posés par le développement de l'énergie atomique, à des fins pacifiques, bien entendu. Cela allait de soi en plein mouvement anti-bombe car nombreux étaient ses militants en faveur des applications civiles de cette énergie, désir de rédemption et fascination mêlées obligent.
Je vais vous lire les deux paragraphes de conclusion de ce rapport, numéroté 151 dans la base TRS de l'OMS, pour que vous vous rendiez bien compte qu'il s'adresse aux décideurs et leur demande de laisser faire ceux qui savent. Ensuite, un vrai bouquet final, je vous exposerai le CV des rédacteurs. Sans que j'ai besoin d'en faire l'exégèse, vous y reconnaîtrez le fondement culturel des gens qui ont mené et mènent la danse atomique mondiale, dans une grande continuité puisque l'un d'eux sévit encore dans notre pays. La conclusion :
"Enfin, si l'on considère la position des dirigeants et des autorités, il y a peu d'espoir qu'une forme quelconque d'action ou d'éducation sur le plan de la santé mentale amène une modification générale de leurs attitudes, car ces hommes sont nécessairement absorbés par l'effort qu'ils doivent faire pour s'adapter à un monde en vois de transformation constante. Cependant, on pourrait faire beaucoup en améliorant la compréhension entre les savants et les autorités. Il faut que les autorités comprennent qu'il n'entre pas dans le rôle du savant d'énoncer des jugements de caractère psychologique ou moral sur des problèmes scientifiques, et qu'en demandant aux hommes de science d'exprimer de tels jugements on les met dans une situation impossible. De leur côté, les savants doivent comprendre la position des autorités, placées, comme elles le sont souvent, devant la nécessité de prendre une décision précise sur la base de faits pour le moins équivoques, dont elles ne comprennent pas toujours parfaitement la signification et dont elles ont par conséquent tendance à se méfier.
Toutes les mesures propres à combler le fossé qui sépare les scientifiques et les non-scientifiques seront utiles à cet égard et le Groupe d'étude a indiqué précédemment comment la solution de ce problème pourrait être facilitée par l'éducation.
Cependant, du point de vue de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l'avenir des utilisations pacifiques de l'énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s'accommoder de l'ignorance et de l'incertitude et qui, pour citer Joseph Addison, le poète anglais du XVIII° siècle, saurait “chevaucher l'ouragan et diriger la tempête”. |
“Chevaucher l'ouragan”, voilà qui parle aux oreilles des liquidateurs de Tchernobyl et Fukushima ! “Diriger la tempête”, tout un programme pour le lobby de la radioprotection officielle…
Voici maintenant la liste des auteurs du rapport, avec leurs parcours professionnels, tout-à-fait éclairants comme nous allons nous en rendre compte. Outre le Docteur Austin Brues, nous trouvons :
• Lord Ritchie Calder (1906-1982), Sutton, Surrey, Angleterre.
Lord Ritchie Calder of Balmashanner, de la vieille noblesse écossaise, est la plume du rapport. Il est présenté comme un homme de lettre écossais et socialiste. Son parcours est celui d'un homme très riche, qui fait de sa vie selon sa fantaisie.
Il débuta par une courte carrière de Police Court Reporter au Dundee Gazette. Puis il trouva un emploi à la direction de la rubrique scientifique du Daily Herald à Londres. Poste qu'il abandonna peu avant la guerre pour celui de Chef de la Propagande dans l'Administration de Guerre Britannique (Political Warfare Initiative en anglais). Au milieu des années 50 il se recycla dans divers mouvements civiques, comme Pt du Mouvement de la Paix et comme porte-parole du Mouvement Anti-Bombe. Il est l'auteur du livre “Living with the Atom”, titre emprunté à un film de propagande de 1957 produit par le Department of Defense de l'Université de Californie.
• Dr Brock Chisholm (1896-1971), Victoria, Canada. Psychiatre, il fut le premier directeur (en 1941) du Service de sélection de l'armée canadienne. Il s'occupa aussi des questions liées à la guerre bactériologique. Il fut l'un des membres du Secrétariat exécutif de la Commission intérimaire de l'OMS, mise en place en 1946 pour rédiger sa première Constitution. Il fut nommé en 1948 au poste de premier Directeur Général de l'OMS. Par ailleurs Pt en 1959-60 de la Fédération Mondiale de la Santé Mentale (WFMH en anglais, fondée en 1948 dans le cadre de l'OMS), dont des contributions du tout récent 25ème Congrès sont citées en annexe du rapport, les seules références “externes”, ce qui veut dire clairement qu'aucune base scientifique ne soutient ce rapport 151, un rapport qui apparaît comme un pur exercice spéculatif.
Il faut observer que l'on ne trouve aucune évocation de Three Mile Island, de Tchernobyl, ni de Fukushima dans les publications ultérieures de la WFMH. Son rapport Prevention of Mental Disorders de 2010 ne fait aucune allusion à la question de la peur de la radioactivité. La radiophobie n'est pas un sujet. Son rapport de 2007 intitulé Disaster Response Initiative, est muet sur la question des crises radiologiques. Le mot Tchernobyl n'y apparaît pas. Faut-il en conclure que la “radiophobie” n'est pas considérée comme elle le devrait par cette institution ? L'œuvre pionnière de son ancien président y serait ignorée ? Nul n'est prophète en son pays… Diable, quelle institution psychiatrique peut bien soutenir le concept de radiophobie ?
• Pr Hans Hoff (1897-1969), Directeur de la Clinique psychiatrique et de l'Institut de Neurologie de l'Université de Vienne, Autriche (Président). Elève de S. Freud avant Guerre. Il émigra aux Etats-Unis. C'était un spécialiste du traitement chimique des psychoses. C'est sans doute en raison de cette compétence, car il était par ailleurs totalement ignare dans le domaine des radiations, qu'il fut appelé à participer à la rédaction du rapport.
• Pr A.H. Leighton (1908-2007), Department of Psychiatry, Cornell University, New-York.
Philosophe de formation. Il fut initié à la psychiatrie par sa première femme et est connu comme un éminent spécialiste d'épidémiologie psychiatrique… Il passa la majeure partie de la Guerre à Washington comme chef de la Foreign Morale Analysis Division dans le Office of War Information. Il fut le chef de l'équipe chargée par le U.S. Strategic Bombing Survey d'étudier les sentiments et les réactions des survivants des bombardements atomiques. Son goût pour les études anthropologique joue un rôle important dans ses travaux.
Ses recherches prennent pour hypothèse une haute prévalence de désordres psychiatriques dans les groupes humains minés par la désintégration sociale du fait que ce qu'il appelle les « sentiments lutteurs (ceux qui vous donnent de la force) » y sont frustrés. Il distingue dix sentiments lutteurs, sentiments de : sécurité physique, satisfaction sexuelle, exprimer de l'hostilité, exprimer de l'amour, être assuré de l'amour, être reconnu, exprimer de la spontanéité, comprendre sa place et celle des autres dans la société, maintenir sa position dans un groupe social, avoir conscience d'être part à un ordre moral.
On imagine que, outre ses compétences en analyse de la psychologie de l'adversaire en temps de guerre, cette grille de lecture a pu être trouvée pertinente pour spéculer sur les désordres mentaux affectant les groupes opposés au développement des applications civiles de l'énergie atomique.
• Dr P.J. Reiter, Médecin-chef de la Clinique psychiarique, Hôpital de Copenhague. N'a laissé aucune trace dans les bases de données accessibles par Internet.
• Dr J.S. Riach, Consultant Radiotherapist, The Marie Curie Hospital, London, (Rapporteur)
Radiothérapeute, spécialiste du traitement de leucémies myéloïdes chroniques (papier publié en 1932). Reçoit le titre d'Eminente femme américaine en 1950.
• Dr M. Tubiana (1920-), Directeur du Laboratoire des Isotopes et du Bétatron, Institut Gustave Roussy, Villejuif. Le benjamin de l'équipe. Aveugle défenseur de toutes les applications des rayonnements et de l'énergie atomique. Membre de la Main Commission de la CIPR (1953-58), expert consultant de l'OMS en 1957 (pour le rapport 151), puis de l'AIEA à partir de 1960. Il fera partie de la Commission technique d'Euratom (1968-72). Il est de nouveau expert consultant de l'OMS entre 1978 et 1982. Président du Comité de Radioprotection de EDF (fonction rétribuée) entre 1985 et 1994 tout en étant Président du Conseil supérieur de Sûreté et d'Information nucléaires entre 1990 et 1993 ! (les conflits d'intérêts ne lui font pas peur).
• Dr Kenneth Soddy, Directeur adjoint de la WFMH (consultant). Président de l'Institut Religion et Médecine. Organiste talentueux. En revanche, pas de référence scientifique ni d'expertise dans le domaine atomique.
En résumé : Un leader issu du Manhattan Project, endurci par son passage à la direction de l'ABCC, qui a reproché aux généticiens soucieux leur sentimentalisme émotionel et se prononce pour cacher au public les controverses scientifiques ; un psychiatre, ex-Directeur Général de l'OMS ; un grand ancien du Manhattan Project et de l'ABCC ; un jeune loup du lobby atomico-radioprotecteur ; un spécialiste des psychoses ; un théoricien des épidémies psychiatriques et de l'analyse de la résistance morale des adversaires durant la guerre ; un as de la propagande de guerre par ailleurs recyclé dans l'anti-bombe et le Mouvement de la Paix…
LE RÔLE DE L'OMS DANS LES CRISES RADIOLOGIQUES
Nous savons où se trouve l'adversaire et d'où il tire l'essentiel de son influence : de l'idée admise que ce qu'il produit est de la science. Cette pseudo-science est triturée par la CIPR pour réduire comme peau de chagrin les effets sur la santé, officiellement reconnus, des radiations atomiques. La CIPR va plus loin en transformant la question de la protection de la santé contre les radiations en un problème d'optimisation économique où elle balance les risques à long terme (ceux qu'elle reconnaît, exclusivement) avec le coût des mesures à prendre à court terme pour protéger les gens. Mais c'est une histoire connue et je ne vais pas m'étendre sur ce sujet.
La CIPR est le relai “normalisateur” de l'UNSCEAR vers le reste des pouvoirs technocratiques et politiques, notamment vers l'OMS.
Nous avons vu que l'OMS n'est la source d'aucun rapport sur le danger des radiations, et qu'elle n'a pas suivi la demande des généticiens de se doter d'un comité chargé des questions de radiation, de santé et de génétique.
Qu'a fait l'OMS lors des crises radiologiques majeurs qui ont jalonné les décennies écoulées ? Quelles initiatives a-t-elle prises ?
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Silence assourdissant lors de l'affaire du Lucky Dragon et plus généralement durant tout le débat sur les effets des retombées des essais atomiques.
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Aux abonnés absents lors de la crise de Windscale en 1957.
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Les Américains ont géré seuls l'accident de Three Mile Island et ses séquelles.
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Absente à Tchernobyl, jusqu'au printemps 1989, quand elle vient obligeamment à la rescousse du Gouvernement soviétique pour appuyer sa politique de non évacuation des régions contaminées où la dose externe cumulée ne dépasse pas 35 Rems sur une vie.
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Offre gentiment son label et un secrétariat pour la partie des travaux du Chernobyl Forum consacrés à la santé.
Fin mars 2011 elle fait acte de présence à Fukushima, par un communiqué mettant en garde contre le danger que feraientt courir des craintes infondées sur les retombées de l'accident.
Plus stratégiquement, elle publie en son nom le rapport sur la dosimétrie de Fukushima, concocté par une équipe dirigée et guidée par ceux qui avaient participé, voire piloté, les travaux du Chernobyl Forum. En première ligne Mikhaïl Balonov, Institute of Radiation Hygiene, Moscou, dont la carrière internationale s'est déroulée entre l'AIEA, l'UNSCEAR et la CIPR (actuellement membre du Comité 2 : Doses dues à l'exposition aux radiations). Sans trop entrer dans les détails, outre la publication du rapport, l'OMS a fourni un staff de sept bureaucrates de son siège de Genève et un expert en cancérologie. Trois délégués japonais parmi les observateurs. La rédaction du rapport a impliqué, explicitement envoyés par ces organisations :
Trois experts de l'UNSCEAR, autant de l'AIEA, quatre de la FAO.
S'y ajoutent huit experts envoyés par des agence atomique et/ou de radioprotection nationales, et neuf envoyés par des agences de santé en général et d'agriculture. Un seul universitaire parmi l'ensemble.
Estampillé OMS, ce rapport ne peut qu'inspirer confiance. La dosimétrie est la clé dans le système de radioprotection mondiale puisque Tchernobyl a prouvé qu'avec une bonne dosimétrie, les prévisions de la seconde conférence de Vienne de septembre 1986 étaient parfaitement vérifiées vingt ans après, selon la présentation que fit l'AIEA du rapport du Chernobyl Forum, fin 2005 :
“L’estimation relative du nombre de décès à terme qui figure dans le rapport est très inférieure aux hypothèses antérieures largement reprises par les médias, selon lesquelles les radio-expositions allaient entraîner la perte de dizaines de milliers de vies humaines. Cependant, le chiffre de 4 000 n'est pas très éloigné des estimations faites en 1986 par des scientifiques soviétiques, selon Mikhaïl Balonov, spécialiste des rayonnements à l'Agence internationale de l'énergie atomique, à Vienne, qui travaillait dans l'ex-Union soviétique au moment de l'accident.
(…)« Dans la plupart des zones, les problèmes sont économiques et psychologiques, pas sanitaires ni environnementaux » déclare M. Balonov, secrétaire scientifique du Forum Tchernobyl, qui participe aux initiatives visant à un retour à la normale depuis la catastrophe.” |
Le calendrier d'actions mis sur pied par l'UNSCEAR dès mai 2011 se déroule comme prévu. La base dosimétrique a été publiée. Son exploitation par le modèle dose-effet de la CIPR est en cours. L'avenir est sous contrôle :
“Lors de la sixième et dernière séance du colloque de Fukushima, co-présidée par Abel Julio González de la CIPR et Yamashita Shunichi de la Faculté de Médecine de Fukushima… Wolfgang Weiss de l’Office fédéral allemand pour la protection contre les radiations a évoqué, quant à lui, les activités du Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). L'UNSCEAR a l’intention de publier un rapport préliminaire sur l’exposition et les conséquences des radiations de la catastrophe de Fukushima en 2012, qui sera suivi d’un rapport final en 2013.” |
La répétition du drame de Tchernobyl paraît bien engagée !
La matière abordée ici est complexe et la recherche en cours somme toute embryonnaire. Je nous laisse donc le soin de tirer d'une discussion collective quelques éléments de conclusion pour l'action.
Je vous remercie pour votre attention.
Yves Lenoir
Lire également du même auteur, in Atomes crochus # 1,
:
> À Fukushima comme à Tchernobyl, l'OMS préserve l'avenir de l'industrie nucléaire, situer le rapport publié par l'OMS : "Preliminary dose estimation from the nuclear accident
after the 2011 Great East Japan Earthquake and Tsunami", World Health Organisation, 2012